Préjudice Corporel – Droit Social et du Travail

Accident du travail : refus d’indemnisation des préjudices liés aux pertes d’emploi et de retraite

Le salarié victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur ne peut plus obtenir devant le juge prud’homal une indemnité réparant tant la perte de son emploi que de ses droits à la retraite au motif que celles-ci sont déjà réparées par application des dispositions du code de la sécurité sociale.

Tel en a décidé la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans un arrêt en date du 6 oct. 2015 (Pourvoi n°13-26052).
Lorsque l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur, le salarié peut, indépendamment de la majoration de la rente, obtenir la réparation pour préjudice causé par les souffrances physiques et morales, pour préjudice esthétique, d’agrément et enfin du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle. Par ailleurs, si cet accident ou maladie se traduit par un licenciement pour inaptitude physique, le salarié est en droit d’obtenir une indemnité spéciale de licenciement. En 2006, la Cour de Cassation avait admis le fait que le salarié licencié pour inaptitude physique résultant d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur pouvait obtenir une indemnisation au titre du préjudice résultant de la perte d’emploi et de ses droits à la retraite (Soc. 17 mai 2006, n° 04-47.455 et Soc. 26 janv. 2011, n° 09-41.342 ; 23 sept. 2014, n° 13-17.212). Dans la lignée de cette décision, la Cour avait également admis l’indemnisation du salarié pour le préjudice résultant de la perte des droits à la retraite consécutif au licenciement (Soc. 26 oct. 2011, n° 10-20.991).
Cependant, l’arrêt susvisé met définitivement un terme à cette jurisprudence en s’inscrivant dans la lignée d’une décision antérieure suivant en cela la jurisprudence de la Chambre Mixte de la Cour de Cassation (Cass., ch. mixte, 9 janv. 2015, n° 13-12.310)

La Haute Juridiction a estimé que la perte même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, tant de l’emploi que des droits à la retraite correspond en réalité à une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail. Ainsi, la perte de l’emploi et des droits à la retraite ne sont pas des préjudices distincts. La réparation des conséquences de l’accident du travail, y compris lorsqu’il se traduit par un licenciement pour inaptitude, relève de la compétence des juridictions de sécurité sociale.

Préjudice Corporel – Infractions Pénales

L’incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ouvrant droit à réparation intégrale du préjudice devant la CIVI ne se confond pas avec le déficit fonctionnel temporaire au regard duquel est évalué le montant de l’indemnisation.

Une victime sollicitait de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), la réparation intégrale du préjudice subi du fait de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois.

Pour apprécier la gravité de l’incapacité totale de travail personnel et débouter le requérant de sa demande, la Cour d’Appel n’avaient retenu que la période d’hospitalisation effective de deux jours de ce dernier, sans tenir compte de son arrêt de travail d’environ deux mois.

Or, selon le rapport du groupe de travail présidé par Jean-Pierre Dintilhac en 2005, le déficit fonctionnel temporaire traduit « l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu’à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique ».

La Cour de cassation, par Arrêt en date du 19 novembre 2015 Pourvoi n°14-25519, a sanctionné la confusion opéré par la Cour entre les notions d’incapacité fonctionnelle totale et celle de déficit fonctionnel temporaire. La Haute Juridiction commence par rappeler le texte de l’article 706-3 du code de procédure pénale en indiquant que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque, notamment, ces faits ont entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ».

Elle pose ensuite le véritable apport de sa décision en jugeant que « cette incapacité ne se confond pas avec le déficit fonctionnel temporaire au regard duquel est évalué le montant de l’indemnisation ». Pour la deuxième chambre civile, l’incapacité totale de travail personnel et le déficit fonctionnel permanent sont deux choses totalemnet différentes.

Alors que l’incapacité totale de travail est une condition de recevabilité de la requête en indemnisation, le déficit fonctionnel permanent n’est qu’un critère d’évaluation du montant de cette dernière. La première a une incidence sur le principe du droit à réparation, le second n’a de conséquences que sur ses modalités.

Toutefois, le texte applicable à la CIVI évoque précisément une incapacité de travail « personnel ».

Le requérant, qui non seulement n’était pas dans l’incapacité totale d’effectuer toute tâche de nature personnelle mais avait en outre la possibilité d’effectuer certaines tâches professionnelles, ne pouvait, pour la cour d’appel, prétendre à une réparation intégrale. Il invoquait quant à lui que la seule impossibilité de parler et de démarcher les clients constituait une « gêne notable dans l’exercice de ses capacités fonctionnelles usuelles, si même elle n’est pas dans l’impossibilité absolue de se livrer à quelque activité physique ou professionnelle que ce soit » susceptible de caractériser l’incapacité totale de travail personnel.

Bien qu’elle fasse droit à l’argumentation du requérant sur l’impossibilité d’assimiler les deux notions litigieuses, la Cour de cassation n’entre pas dans le débat sur la portée de la notion d’incapacité totale de travail personnel au regard des tâches pouvant ou non être réalisées par la victime. Elle se contente de sanctionner le mode de raisonnement des juges du fond et l’assimilation opérée par ces derniers. La Cour pose donc une distinction de principe qui devra être saluée en ce qu’elle rend une certaine autonomie au juge par rapport aux conclusions de l’expert dans un domaine où la parole de ces derniers revêt une autorité de plus en plus déterminante pour l’issue des litiges.

Préjudice Corporel – Responsabilité Médicale – Droit Administratif

L’indemnisation des proches d’une victime d’une faute médicale

Par Arrêt en date du 10 décembre 2015 (Req. n°374038), le Conseil D’État a jugé que les proches de la victime d’un accident médical peuvent être indemnisés au titre d’un « préjudice d’accompagnement ».

En effet,  la Haute Juridiction a affirmé que les proches de la victime d’une faute d’un établissement public hospitalier qui lui apportent une assistance peuvent solliciter l’indemnisation du préjudice né de l’obligation de fournir une aide à la victime alors même que cette dernière est la seule à pouvoir prétendre à l’indemnisation des frais d’assistance par une tierce personne.

En l’espèce, Mme A. avait gardé des séquelles neurologiques à la suite d’une intervention pratiquée dans un hôpital parisien. La victime, son époux et leurs enfants ont alors recherché la responsabilité de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). La cour administrative d’appel de Paris a retenu la responsabilité intégrale de l’AP-HP et l’a condamnée à verser 137 990,44 € à Mme A. au titre des frais futurs d’assistance par une tierce personne et 10 000 € à M. A. au titre de son « préjudice d’accompagnement ».

Saisi d’un pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’État a indiqué que « si l’indemnisation des frais d’assistance par une tierce personne ne peut intervenir qu’au profit de la victime, les proches de la victime qui lui apportent une assistance peuvent prétendre à être indemnisés par le responsable du dommage au titre des préjudices qu’ils subissent de ce fait ».

En l’espèce, M. A. demandait à être indemnisé du préjudice ayant résulté pour lui de l’obligation d’apporter une aide à son épouse, de manière permanente, de novembre 2008 à avril 2009 puis le quart du temps de juin 2009 à novembre 2011. Pour la haute juridiction, le juge d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que les troubles ainsi subis par M. A. présentaient le caractère d’un préjudice propre lui ouvrant droit à réparation et en lui accordant une indemnité « qui ne fait pas double emploi avec la somme allouée à son épouse pour la mettre en mesure d’assumer, à l’avenir, les frais afférents à l’assistance par une tierce personne ». Par ailleurs, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en évaluant de manière forfaitaire ce préjudice sans se référer au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales.